Couverture du livre Les Champs de la Lune de Catherine Dufour

L'histoire

Le livre raconte l'histoire d'une jardinière lunaire, qui s'occupe sans relâche de sa ferme sous cloche à la surface de la Lune. Des comptes-rendus secs du début, elle évolue vers de nouvelles émotions au gré de ses rencontres. À la suite d'un événement qui l'affecte, elle décide d'enquêter sur une maladie mystérieuse qui frappe les "Soulunaires", les habitants des cités troglodytes de la Lune. Est-ce que qu'elle cherche la vérité pour elle ou pour les autres habitants et qu'a-t-elle vraiment à y gagner ?

Les personnages

  • El-Jarline, l'héroïne. Toute l'histoire est racontée de son point de vue. Elle s'occupe de la ferme avec passion ce qui nous donne des passages techniques sur la cohabitation entre plantes assez captivants (même si on déteste jardiner).

Au bout du compte, les plantes ont à peu près toutes accepté leur nouvel environnement. Il faut dire qu’on ne leur a pas laissé le choix : aucun billet retour n’était prévu pour elles.

    Très préoccupée par la préservation du délicat écosystème de sa ferme, elle est patiente, curieuse et sait s'y prendre avec les citoyens lunaires un peu à la marge.
  • Trym, son compagnon à la ferme, le chat parlant. Mange des fois des animaux, ce qui lui pose des problèmes.

  • Sileqi, une petite fille rejetée par ses parents et ses camarades, que l’héroïne prend sous son aile, pour des passages d'une douceur et d'une délicatesse infinie.

Le vent secouait les clochettes blanches, se chargeait d’un parfum d’agrumes et emmêlait les cheveux de la petite. J’ai dû les peigner et les tresser tandis qu’elle essayait de fabriquer un petit panier avec des feuilles. Le soir portait quelque chose de gai et de léger.

  • Mut, la ville lunaire dont dépend la ferme Lalande, dirigée par Strine. Chaque cité sous la Lune est une entité vivante dans le livre.

  • Les amis, Zante, Heiger, des scientifiques (zoologistes ou amis des robots), avec qui elle échange plantes, animaux et conseils.

  • La Lune, avec ses légendes magnifiques, son histoire sanglante et ses habitants sans espoir de retour vers la Terre.

Nous étions encore loin de Grimaldi quand nous sommes passés devant la ruine d’un temple, un sanctuaire shinto voué à Konohana, l’enfant-fleur. Il fut un temps où les premiers Lunaires semaient des temples dans les endroits les plus fantaisistes.

Mon avis

Pendant les premières 100 pages, on a l'impression d'être dans un nouveau genre de science-fiction : de la Hard Sci-fi botanique. C'est très perturbant mais aussi très plaisant. Un peu à la manière d'Un psaume pour les recyclés sauvages et de ses pages sur la cérémonie du thé, le mélange des genres marche.

J’ai écouté ce que l’érable bonsaï avait à me dire à son tour, dans son langage arboricole. Il se plaît sur son balcon venteux. Ses plaies creuses cicatrisent bien, j’ai juste ôté un fil de cuivre qui blessait une branche. Puis je l’ai laissé à son demi-sommeil hivernal, une ultime feuille d’un rouge intense tremblant dans la bise aigre.

Ensuite, le personnage de El-Jarline est un personnage à part de la société lunaire. Gardienne de la Nature, de la nourriture indispensable à la survie, et d'un passé terrestre déjà si lointain pour des humains sans plus de racines, elle s'humanise peu à peu et ses réflexions alimentent le roman de pensées fortes. Elle passe de "civil servant" fidèle et qualifiée, à une "humaine" qui s'éveille à sa sensibilité et à ses émotions, puis à une enquêtrice obstinée, et le rythme lent du livre rend cette évolution très marquante.

J’ai brusquement compris pourquoi les citoyens de Mut venaient me demander des soins : dans leur esprit, la fermière de la surface, celle qui fait éclore la vie au sein même de la mort, connaît sûrement les secrets de la vie éternelle.

J'ai vu dans la narratrice une humaine un peu autiste pendant les 3/4 du livre. Je n'ai ai eu la confirmation de sa condition qu'en lisant d'autres critiques. J'aurais préféré garder l’ambiguïté, ça aurait fait un bon twist. Mais est-elle vraiment un robot, elle, la seule qui agit rationnellement et cherche à aider ?

Ce qui m'a frappé dans le récit, c'est l'impression de déliquescence des structures humaines de survie, un cliché de SF certes, mais décrit finement. Sans insister, elle est toujours là en arrière-plan, menaçante. L'apathie de la majorité des humains face aux avertissements de l'héroïne est aussi très intrigante.

Mes passages préférés restent les moments avec Sileqi. L'autrice décrit avec une tendresse très touchante la relation entre l’héroïne et l'enfant.

L'énorme référence finale à Clifford Simak est un peu trop évidente, mais peut-être que je l'ai lu le chef d'oeuvre de Simak il y a trop peu de temps. Et l'autrice ne s'en cache de toute façon pas en interview.


⭐⭐⭐⭐ Un excellent roman français de SF, puissant et plein de grâce.


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