
J'ai découvert ce livre complètement par hasard en tombant sur une liste de chefs-d'œuvre modernes de la science-fiction. Pourtant, rien de confidentiel, cet ouvrage a remporté le Prix Hugo en 2006 et le Grand Prix de l'Imaginaire du meilleur roman étranger 2007. Il a été publié il y a 20 ans, et quelle bonne surprise !
L'histoire
Du jour au lendemain, la Terre est enveloppée dans une bulle de dilatation temporelle. Les fusées envoyées à travers l'atmosphère révèlent qu'en dehors de cette enveloppe, pour chaque heure passée sur Terre, l'univers vieillit de milliers d'années. Les plus grands esprits scientifiques en déduisent rapidement que le Soleil mourra dans 50 ans.
Qu’est-ce que cela signifie pour la technologie, la société et la volonté de vivre des humains ? Qui est à l'origine de ce phénomène ? Qui sont ces Hypothétiques ?
On entre dans le vif du sujet avec une phrase qui fige le lecteur :
J'avais douze ans, et les jumeaux treize, la nuit où les étoiles ont disparu dans le ciel.
C'est aussi l'histoire douce-amère d'une relation à trois. Une belle histoire d'amour et d'amitié indéfectible entre 3 êtres de classe et de sensibilités différentes, alors que tout autour pousse au désespoir.
« C’est plus important que tes problèmes avec ma sœur. » Il était sérieux comme un pape. « Et je sais l’importance qu’elle a pour toi. — Elle n’a aucune importance pour moi. — Ce ne serait pas vrai même si vous n’étiez qu’amis.
Le livre est narré de deux époques différentes : le présent (en 4 x 109 après JC) et le passé depuis ce qui semble être les années 70 ou 80.
Face à l'impuissance de la fin du monde, l'auteur invite à la réflexion sur les comportements humains : l'arrivée de nouvelles religions, les suicides de masse, le contrôle du pouvoir par les États‑Unis d’Amérique dans un monde qui se sent perdu.
On y parle aussi de Mars (avec l'une des idées les plus malignes du livre), de traitements bio-ingéniérées et de passage vers des mondes lointains...
Personnages
- Jason Lawton : le génie scientifique qui se sent investi d'un but ultime, curieux, destiné à de grandes choses. Pendant longtemps dans l'ombre pesante de son père, jusqu'à entrer en conflit avec lui. Il est tragiquement victime d'une maladie mystérieuse (la SEPA, maladie inventée même si des choses en commun avec la sclérose en plaques). Mourant puis ressuscité, il finit tué par son obsession :
C’était comme s’il avait levé le bras et touché les étoiles. Et les étoiles avaient réagi en le touchant aussi. Les étoiles l’assassinaient. Mais il mourait en état de grâce.
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Diane Lawton : jumelle de Jason, caractère différent qui se tourne vers la religion (et le fanatisme) à la suite du Spin.
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Tyler Dupree : ami des jumeaux, amoureux de Diane, il devient le médecin personnel de Jason. Raisonnable, détaché à l'extrême, ami fidèle et amoureux transi de Diane. C'est lui qui raconte l'histoire.
Peut-être n’existait-il rien d’autre auquel je puisse m’agripper. Et peut-être n’y avait-il pas forcément de mal à cela. Si Molly avait raison, il nous avait fallu, à tous, nous agripper à quelque chose ou nous retrouver perdus. Diane s’était agrippée à la foi, Jason à la science. Et moi à Diane et Jason.
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Carol : la mère des jumeaux, ancienne médecin, alcoolique pendant 30 ans, qui retrouve l'amour pour ses enfants au pire des moments.
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Wun Ngo Wen : l'énigmatique émissaire martien.
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Molly : la compagne de Tyler pendant quelques temps, qui finit par le trahir, pour pouvoir mourir dans le luxe.
Un état de stress prétraumatique, je crois que tu as appelé ça ? Une génération d’excentriques. Voilà pourquoi, tous, on couche facilement, on est divorcés, hyper-religieux, dépressifs, maniaques ou dépassionnés. On a tous une excellente excuse pour mal se comporter, y compris moi, et s’il te faut être ce roc de serviabilité soigneusement préméditée pour arriver à dormir la nuit, d’accord, je comprends.
Mon avis
C'est une histoire qui se découvre avec patience : l'auteur dévoile son intrigue par petits bouts. Jamais je n'ai été frustré ou impatient, tellement j'ai trouvé ça passionnant et bien amené.
Il contient des réflexions touchantes et acérées sur comment notre espèce réagirait à un événement impossible à expliquer, mais aussi quelques phrases glaçantes :
Sans le Spin, on serait tous en train de mourir de faim ? — Mais les gens meurent de faim. Ils meurent de faim parce qu’on ne peut pas assurer à sept milliards d’habitants une prospérité de style nord-américain sans dépouiller la planète de ses ressources. Les chiffres sont implacables. Oui, c’est vrai. Si le Spin ne nous tue pas, nous connaîtrons tôt ou tard une régression globale de la population humaine.
J'y ai trouvé un énorme écho avec notre situation actuelle, et la catastrophe écologique qui s'annonce, qui est ignorée et que ressentent certaines personnes très durement au fond d'elles.
Spin fait partie d'une trilogie, l'auteur ayant apparemment encore quelques choses à dire sur cet univers à la fin du roman. Les deux tomes suivants : Axis et Vortex sont vus comme un peu moins bons (même l'auteur en convient).
Par le hasard des choses, j'ai fini le livre juste après avoir fini la série Pluribus, et comme dans la série, ici un organisme extraterrestre décide pour nous comment nous sauver.
J'ai trouvé le livre très bien écrit et très bien traduit par Gilles Coullet. Globalement j'ai été surpris par la justesse avec laquelle l'auteur capture les rapports humains, ses réflexions sur notre humanité et notre planète et en même temps la puissance et la créativité de ses idées de science-fiction.
C'est ce mélange qui rend ce roman absolument unique.
⭐⭐⭐⭐ Un excellent roman de SF, fort et touchant, qui mérite sa place dans les rayon des classiques.
Liens
- La biographie de l'auteur, sur Wikipedia.
- L’homme qui apprenait lentement, un entretien avec Robert Charles Wilson, interview sur le blog du Bélial.
- Robert Charles Wilson : "Si le progrès existe, l'avenir pourra nous permettre de critiquer le passé", podcast passé sur France Culture en 2020. L'interview commence à 14 min 20.
- Une critique du livre sur le blog du Chien critique.